🌪 À l'ère des faux-semblants

#10 Je préfère divaguer

“Je soupçonnai ce jour-là que la littérature ne soutien avec la vérité que d’incertains propres”  Simone de Beauvoir

Le meilleur moyen de soutenir mon projet d’écriture est de le partager avec ton entourage.

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🍫 Je me balance des chocolats pure origine derrière le comptoir : Mexique, Madagascar, Sao Tomé… Mon pic de glycémie ne tardera pas à atteindre un niveau tout aussi respectable que l’empreinte carbone de ces grands crus. Pour me donner bonne conscience, j’essaie de retenir les saveurs de chaque chocolat ingurgité. Mais je n’y arrive pas. Le sucre me défonce la cervelle. De l’amertume des fèves, il ne me reste en bouche que la déforestation en Afrique. Peut-être que ce chocolatier n’y est pour rien puisqu’il se fournit auprès de petits producteurs, mais le monde est tel que je n’arrive plus à faire la distinction entre équité et dévastation.

– Cata, c’est vraiment dur d'assumer le statut de vendeuse ! On a rétrogradé socialement… Avant au moins, on était prof de yoga !

🧘🏻‍♀️ Voilà ce que m’a dit la semaine dernière une prof qui s’est faite éjecter du club de yoga. En devenant vendeuse à mi-temps au centre-ville, elle regrette de ne plus bénéficier de l’aura que confère le statut de prof de yoga. Elle espère que cette dégradation sociale lui apportera au moins une stabilité financière. Je n’ose pas lui dire que je ne crois plus au yoga. Je suis même persuadée que le métier d’enseignant de yoga perdra d’ici quelques années ses lettres d’honneur. Trop de profs, trop peu de qualifications et beaucoup d’interprétations paraphrasées de textes sacrés ne suffiront plus à épater les pratiquants. 

👛 Cette rencontre m’a tout de même perturbée. Mais qu’est-ce que je fous de nouveau, coincée dans un taf alimentaire ? Je m’enfile un autre bonbon de chocolat pour éviter de trop y penser. Le sucre me file toujours un léger mal au crâne qui anéantit mes réflexions existentielles. Je ne tiendrai jamais ce régime durant les trois mois de mon contrat. Il faut vraiment que je trouve un plan de carrière viable sinon je finirai vraiment par écrire les mémoires d’une meuf paumée… et j’imagine déjà la galère pour se faire publier. 

😁 Tiens ton sourire bien plaqué ! Même si je n’apparais qu’en arrière-plan des photos des touristes, j’ai envie de me détacher du décor. Les pèlerins de la consommation partiront heureux avec un cliché souvenir des macarons de la boutique sur un fond de meuf en plein essor ! Parce que pour être paumée, je vous le dis, elle s’en sort pas mal la meuf ! Pas besoin de l’appeler à chaque fois qu’elle publie un texte enragé ! Ou qu’elle raconte une galère. Ça l'excite de se dévoiler, de déranger, de désabuser les fervents de la réalité. Oh là là, elle est en colère ! Oh là là, elle en bave à trouver un boulot ! Qu’importe ce qui relève du réel, quand je peux me la raconter !

📸 Ma photogénie n’est pas un don naturel. C’est une signature que je bosse depuis bien longtemps. À l’ère de l’image et de l’intromission, développer un style propre pour mes apparitions éphémères sur les fils des smartphones est ma façon de contrôler mon récit perso. Car oui, là encore, je transfigure la réalité. Et je ne suis pas la seule. L’alternant qui bosse avec moi veut s’acheter un trépied-ring pour filmer tous ses exploits à la salle de sport. C’est certain qu’il ne se filmera pas en arrière-boutique en train de s'empiffrer deux Mac Do appuyés d’un Redbull. Sa prouesse en salle de muscu passera sur mon fils Insta après la vidéo d’une prof de yoga en posture sur la tête qui se veut imparfaite alors qu’elle exhibe un bon alignement, un dos bien musclé et un bel écart des jambes. Je connais la meuf en question. Elle a créé de toute pièce son avatar numérique en accord avec le faux discours de la non-performance dans le yoga. Peut-être que ce n’est pas ce qu’elle prône dans la vraie vie, mais c’est ce que laisse transparaître son alter égo numérique. En légende de sa publi, elle dément son exploit avec “c’est un peu raté”. La dissonance entre image et légende n’a l’air d'inquiéter personne sur son état mental. Tout va bien chez elle puisque sa vidéo est une allégorie quasi parfaite de la pratique du yoga moderne… Alors que chez moi, il y a vraiment de quoi s’alarmer. C’est sûr qu’elle déprime la pauvr’ quand elle n’est pas en rogne contre l’existence.

💪 Mon mec s’est épris du devoir de me sortir de la mouise. Ça le tracasse de me voir divaguer alors que je devrais me raccrocher avec ardeur à tout ce qu’il propose comme projet. Je devrais m’incliner et surtout le remercier de m’avoir élu pour assurer le quota étranger, féminisme et diversité de son foyer. D’ailleurs, je suis devenue depuis son chantier d’insertion professionnelle de prédilection. S’il m’invite à une soirée, c’est pour que j’apprenne, en l’observant et sans l’importuner, à réseauter. Il demande même des conseils à des professionnels de son secteur sur le comportement que je devrais adopter lors des entretiens. Ils s’accordent à dire que ma sincérité sur la limite de mes engagements traduit une certaine nonchalance “Si elle veut décrocher un poste, il faut qu’elle démontre qu’elle est prête à se défoncer pour la boîte !”.

🦄 Réduite à un cas d’école, je préfère divaguer que perpétuer le cirque de cette société. Les faux-semblants ne servent qu’à incarner la réussite, le bonheur et la consommation… Bref, la perfection…

Allez, promis c’est le dernier, après ce chocolat, j’arrête.  

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Merci de m’avoir lu jusqu’au bout 😘

Je suis de retour à Strasbourg et enfin prête à écrire.

J’espère tenir le rythme malgré l’affluence en boutique.

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