âJe soupçonnai ce jour-lĂ que la littĂ©rature ne soutient avec la vĂ©ritĂ© que dâincertains rapportsâ Simone de Beauvoir
đŸ Des chiens en poussette. Jâen croise tous les jours en centre-ville. Ăa commence Ă sâincruster dans les mĆurs citadines. Et il nây pas que des mamies. Les jeunes sây collent aussi. Les maĂźtres doivent vraiment avoir du mal Ă se dĂ©placer sans pour aller jusquâĂ les coincer dans une cage roulante zappĂ©s dâune doudoune.
âȘïž JâaccĂ©lĂšre le pas pour mâĂ©loigner de la cathĂ©drale. Jâen peux plus des musiciens qui se parquent devant la boutique, surtout les Roumains. Ils grincent Ă des dĂ©cibels tellement hauts que ça me donne envie dâĂ©trangler leurs enfants. Je sais, ce nâest pas la faute aux gamins, mais ce sont eux qui braillent le plus fort !
đ¶ Je croise sur la route un groupe de marginaux avec un chiot bĂątard magnifique. Jâai une fascination pour la hideur qui rĂ©sulte dâun mĂ©lange atypique. Jâenvisage de le leur piquer et de partir en courant, mais câest le marchĂ© de NoĂ«l et personne nâarrive plus Ă se faufiler.Â
đ Les vrais voleurs, au moins ceux qui viennent en boutique, optent pour des tours de magie. La vieille dame entre, dĂ©taille les produits et dâun pas tranquille regagne la porte. Personne ne l'a vu embarquer dâun coup de main dĂ©licat trois paquets de marrons glacĂ©s. Elle rafle un lot de 108 ⏠dans son grand sac de mamie. La suit de trĂšs prĂšs la dame du billet de cinquante. Un peu plus fourbe, elle feinte lâachat dâun chocolat avec un billet de cinquante euros. Pour faciliter lâencaissement, elle se met Ă chercher lâappoint en centimes en mĂȘme temps quâelle suggĂšre de continuer l'enregistrement de la vente. Une fois le tiroir-caisse ouvert, elle exige le rendu sur le billet de cinquante quâelle vient tout juste de donner. Elle remporte sans compromis un gain de 47 ⏠et un chocolat. Improbable ! Pas tant que ça, rappelle-toi que jâai les Roumains en musique de fond et une queue d'Allemands qui veulent mâacheter des macrons.
đ„š J'atterris dans une rue moins touristique. Je laisse derriĂšre moi lâAsiatique qui paye son bretzel avec les piĂšces sorties de son sachet-porte-monnaie. Tiens, ce nâest pas un clichĂ©. Je crois mĂȘme avoir dĂ©jĂ vu ça en Colombie. Ou pas ? Jâai toujours confondu rĂȘve et rĂ©alitĂ©... DĂšs que je vois un truc qui me semble trop gros Ă avaler, je le rĂ©pertorie dans mon dossier ârĂȘveriesâ. La rĂ©alitĂ© me semble ainsi plus vivable. Peu importe le sujet ou sa gravitĂ©, je distille en chimĂšre une bonne partie de ce que jâaperçois. Le septiĂšme continent de dĂ©chets, la neige artificielle, les couloirs de migrants, lâinflation, ma carriĂšre dans le yoga⊠Le dossier dĂ©borde, je vais mâarrĂȘter lĂ .Â
đ Jâarrive enfin Ă ma planque, un cafĂ© peu touristique. Sur mon heure de pause, il ne me reste dĂ©jĂ plus que vingt minutes pour Ă©crire un semblant dâhistoire. Rien ne me vient. Je pourrais raconter la fois oĂč un couple mâa expulsĂ© de leur voiture sur une bretelle dâautoroute alors que je faisais de lâauto-stop. CâĂ©tait lâĂ©tĂ© dernier au Nord-Pas-de-Calais Ă mon retour de Londres. La gendarmerie finit par me rĂ©cupĂ©rer suite Ă un appel âcode migrantâ lancĂ© par un patrouilleur du Sanef. Je n'Ă©tais pas le type de migrant habituel auquel ils ont Ă faire. Je suis une femme, française avec un accent dâĂ©trangĂšre bien marquĂ©e qui se hasarde Ă de lâauto-stop solo. Ăa, câest pour les gaillards de vingt-ans ! Jâai repensĂ© aux mamies qui lĂšvent le pouce en Bretagne pour faire leurs courses. Cela nâa rien Ă avoir ! Elles le font par besoin. Toi, tu vas bourlinguer alors que tu es en Ăąge dâĂȘtre une femme bien rangĂ©e. Une femme, ça voyage pas seule ! Câest se mettre en danger ! Câest risquĂ© de se faire violer ! Ma mĂšre me lâa toujours dit. Ma grand-mĂšre me lâa matraquĂ© pendant des annĂ©es. Je ne les ai jamais Ă©coutĂ©es. Se rĂ©duire Ă lâespace dit âdes femmesâ, câest vivre au service des mieux-genrĂ©s. Jâai fini dans un hĂ©bergement dâurgence, pas loin dâune zone commerciale sinistrĂ©e. Jâaurai pu demander Ă ĂȘtre dĂ©posĂ©e dans un hĂŽtel, mais jâaime explorer dâautres rĂ©alitĂ©s. Il nây avait aucun danger. Le concierge, un Africain dâune quarantaine d'annĂ©es, mâa filĂ© un sac-poubelle avec des draps et une couverture propres, brosse Ă dents, dentifrice et rouleau de PQ. Une jeune pensionnaire mâaccompagne jusquâĂ ma chambre. Lâendroit empestait la clope. Heureusement il y a avait la possibilitĂ© dâouvrir grand les fenĂȘtres ce soir dâĂ©tĂ©. CâĂ©tait plus confortable que chez le couple d'Ă©crivains londoniens qui mâavait hĂ©bergĂ© la veille sur un surmatelas minuscule Ă ras du sol, alors quâils ne manquaient pas de moyens. Un duo aussi sympa quâhostile Ă tout ce que peut venir perturber leur train-train quotidien. Le lendemain, je me suis levĂ©e tĂŽt avec une sensation dâĂ©loignement. Jâavais aperçu le fond.
âł J'accĂ©lĂšre Ă nouveau le pas. Je suis toujours en retard. Je nâen peux plus de cette foule de passants enfouis dans leur Ă©cran. Attention ! Regardez devant ! Ouf, me voilĂ enfin Ă la boutique de chocolats.
đ« Les Roumains ne sont plus lĂ . Jâaurais dĂ» piquer le chiot bĂątard.
Je te remercie de mâavoir lu jusquâau bout !
Un ami lecteur, Fernando, mâa proposĂ© de faire des illustrations inspirĂ©es de mes textes. Ă partir de la semaine prochaine, on commencera Ă les publier sur ma newsletter et les rĂ©seaux sociaux đ
Si tu es Ă Strasbourg, viens me faire coucou en boutique ! Cela me fait toujours plaisir de croiser mes lectrices et lecteurs đ
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