Ce texte est entiÚrement vrai. Sauf les parties qui sont totalement inventées
đ Je compte les heures pour que lâannĂ©e se termine. Plus de touristes ni de marmots au centre-ville, la boutique se videra et jâaurai enfin le temps dâĂ©crire mon premier roman. Je mâinstallerais sur un des congĂ©los de la rĂ©serve pour raconter lâhistoire dâune hĂ©roĂŻne volatile et myope dâambitions carriĂ©ristes qui se retrouve coincĂ©e dans un trafic dâarmement alors quâelle voulait juste aider une famille de migrants Ă traverser la frontiĂšre anglaise. Jâavoue câest un peu rocambolesque comme histoire mais je ne trouverai pas mieux dâici janvier â et je prĂ©fĂšre Ă©crire une mauvaise histoire que faire une liste de rĂ©solutions futiles.Â
đ©đ»âđ» La protagoniste, je vais lâappeler Lorenza, traĂźne avec des Bulgares Ă la fac dâĂ©co et mendie un peu dâargent Ă droite Ă gauche pour payer sa chambre en citĂ© U. Un jour, alors quâelle force un peu la main Ă une petite bourgeoise de la fac de Droit pour quâelle passe en caisse sa carte resto Ă sa place, une Bulgare remarque ses talents de dĂ©brouillarde et lui propose de bosser pour son cartel. Sa mission est plutĂŽt simple et bien mieux payĂ©e que son boulot au cinoche. Lorenza doit se mettre en contact avec les vendeuses des grandes boutiques de luxe en ville pour les convaincre de lui revendre des piĂšces moins chĂšres grĂące Ă leur rĂ©duction dâemployĂ©. Ensuite, elle les revend au prix fort sur des sites en ligne chinois et reverse une partie des gains aux Bulgares. Pendant les deux annĂ©es de son master, elle rĂ©ussit Ă empocher pas mal dâargent et Ă recueillir des d'excellents avis sur les sites chinois. Le business sâarrĂȘte cependant du jour au lendemain lorsque le gouvernement chinois dĂ©couvre que les T-shirt griffĂ©s incitent Ă la dĂ©sobĂ©issance sociale. Le rĂ©gime dĂ©cide alors de geler tous les sites oĂč Lorenza vend ses piĂšces. Elle attend quelques semaines leur rĂ©ouverture mais au bout de quatre mois, elle lĂąche lâaffaire. Les Bulgares saoulĂ©es par son attitude de looseuse lui font comprendre quâun jour, elle devra payer sa lĂąchetĂ©.
đȘŠ Je suis au Kitsch' nâ bar. Je croise lâex de ma copine qui sâest fait Ă©jecter du club de yoga, celle qui a perdu son statut social et depuis l'enterrement de son pĂšre, il y a deux jours, sa dignitĂ© Ă cause de ses pleurs en public. Au vu de ma tendance Ă chialer en public jusqu'Ă l'asphyxie et le vomi, jâencaisse mon absence de distinction sociale grĂące Ă son tĂ©moignage personnel. A la cĂ©rĂ©monie, nous Ă©tions que quatre amis Ă lâaccompagner. Elle enterrait son pĂšre. Lâhomme de sa vie. Glauque. Surtout pour toutes celles qui ne retrouvent dans la figure paternelle quâun enfant mal Ă©levĂ© incapable dâassumer la moindre responsabilitĂ©. Mon pĂšre ne fut lâhomme de la vie de personne. Certainement pas de la mienne.
đȘ© Une meuf mâinterrompt. « Ăa fait un bail que tu es sur ton phone alors que câest la teuf au kitsch! ». Je perds le fil. Câest vrai que lâinhumation de mon pĂšre, aucun de mes amis nâest venu, mĂȘme pas mon mari de lâĂ©poque. Je secoue la tĂȘte pour mimer la transe. La solitude se cultive vraiment mieux au milieu de la foule.Â
đ Lorenza quitte la ville pour aller distribuer des fringues â oui, elle est toujours aussi branchĂ©e mode â dans un camp de migrants au Nord-Pas-de-Calais. Un soir, alors quâelle dĂźne avec le groupe de bĂ©nĂ©voles, elle aperçoit une mĂšre quitter le camp avec ses deux enfants et trois gilets de sauvetage DĂ©cat' sous le bras. Lorenza les suit en douce et dĂ©couvre la planque. La mĂšre cache dans une vieille Ă©pave de voiture garĂ©e pas loin des rails de train tout le matĂ©riel nĂ©cessaire pour traverser la Manche. Elle la voit aussi donner un paquet Ă deux hommes qui lui disent de rester tranquille au camp avant lâexpĂ©dition prĂ©vue dans deux jours. Lorenza sait que la traversĂ©e promet une mort certaine mais nâa aucun moyen dâarrĂȘter les plans de la mĂšre qui ne supporte plus les conditions de vie au camp. Lorenza se rĂ©sout par Ă appeler un de ses contacts Bulgares qui lui file un utilitaire immunisĂ© contre la dĂ©tection par infrarouges prĂšs de Dunkerque. Elle accepte sans trop rĂ©flĂ©chir et fait la traversĂ©e en ferry avec la femmes et ses enfants planquĂ©s dans des mallettes. Ă mi-chemin de Londres, le vĂ©hicule est interceptĂ© par une voiture blindĂ©e. La famille de migrants est dĂ©livrĂ©e alors que Lorenza est envoyĂ©e en Bulgarie pour assurer un convoi secret dâarmes en Ukraine. Elle rĂ©ussit sa mission mais juste avant la frontiĂšre avec la Pologne, un soldat ukrainien l'exĂ©cute, persuadĂ© quâelle est une espionne russe. Câest vrai que Lorenza avait hĂ©ritĂ© les traits sibĂ©riens dâun lointain ancĂȘtre alors que pour le reste, elle reste le parfait mĂ©lange dâun colombien et dâune marseillaise.Â
đČ Fini lâhistoire. Je dĂ©pose mon tĂ©lĂ©phone sur la table pour danser une derniĂšre chanson avant de prendre mon vĂ©lo. Je branche mes Ă©couteurs, mets la musique Ă fond et pĂ©dale dans le froid. Je survole mes morts. Tout est plus simple quand Juan Gabriel te dit quâil va tâaider Ă oublier le passĂ©.
đ§ Chanson : Juan Gabriel AsĂ fue.
Je te remercie dâavoir lu mon texte â€ïž
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Bon week-end đ
Cata